Mes super-héros préférés ne sont pas Wonder Woman, Capitaine Marvel ou Jeff Bezos, d’ailleurs! En revanche, Fereshteh Fourough, elle, en est une! Une jeune femme, qui, malgré l’envergure des défis à relever, a fait le choix d’ouvrir le champ des possibles pour toute une génération de jeunes Afghanes. Elle a bâti son avenir professionnel autour des autres, au lieu de s’occuper seulement d’elle-même.
Fereshteh Forough est la fondatrice et dirigeante de Code To inspire, première école de codage informatique pour femmes en Afghanistan. Fereshteh Forough est née dans un camp de réfugiés à la frontière irano-afghane. Elle finit ses études secondaires en Iran. Un an après l’effondrement du régime des talibans, elle et sa famille sont rentrées en Afghanistan. Après son retour à Herat, elle obtient son baccalauréat en informatique et, plus tard, sa maîtrise de l’Université technique de Berlin en Allemagne, lors d’un séjour en Europe. Elle enseigne en tant que professeure à la faculté d’informatique de l’Université d’Herat durant trois années, puis, en janvier 2015, elle décide de fonder Code To Inspire. Fereshteh est également conférencière. Elle a été invitée à participer au TED de 2013 sur la littératie numérique et la communication sans frontières et à la Clinton Global Initiative, en 2015.
Bahar Partov: Pouvez-vous nous parler de Code To inspire?
Fereshteh Forough: Nous avons démarré l’école en gardant à l’esprit ces deux principes: offrir un environnement éducatif sûr et sécurisé pour les filles et offrir la gratuité de l’école sans aucune charge pour l’étudiante ou pour sa famille. Ce qui est important pour nous, c’est d’offrir des outils et les former à des compétences afin de faciliter leur indépendance financière. Nous avons commencé en 2015 avec cinquante étudiantes dans les matières suivantes: applications mobiles, conception Web et développement de jeux vidéo, en suivant un cursus de deux ans après le programme scolaire. À l’heure actuelle, nous avons cent étudiantes et nous avons ajouté deux nouvelles sections: la conception graphique et chaîne de blocs/cryptomonnaie. À ce jour, nous avons réalisé une vingtaine de projets, pour l’externe, d’une valeur de près de 20 000$, dont la totalité est revenue dans la poche des étudiantes.
Nous disposons d’une antenne physique à Herat et de cinq mentors sur le terrain qui enseignent à nos étudiantes en personne. Les cours sont dispensés en farsi et le matériel pédagogique est en anglais.
Bahar Partov: Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés à l’heure actuelle et comment pouvons-nous vous soutenir?
Fereshteh Forough: En tant qu’organisation à but non lucratif, l’un de nos plus grands défis est de lever des fonds.
Moins concentrés que par le passé sur l’Afghanistan, les moyens de la communauté internationale se sont réduits, nous laissant un accès limité aux ressources, aujourd’hui. Nous essayons donc de diversifier notre stratégie de collecte de fonds. Nous avons nos donateurs individuels qui font des dons via notre site Web. Nous utilisons les plateformes de financement participatif en ligne, tel que INDIEGOGO. Par le passé, nous avons reçu des subventions et fonds d’entreprises internationales, tels que Google, le fond Malala, github, etc.
Outre la collecte de fonds, nous recherchons toujours des bénévoles qui peuvent nous aider dans leurs domaines d’expertises. Ainsi, nous avons eu des bénévoles qui nous ont aidés à la création d’une base de données des subventions, et d’autre aussi à capitaliser sur les médias sociaux et créer de nouvelles campagnes. Nous avions aussi un comité consultatif qui nous a permis de façonner le programme, afin de le rendre plus structuré et plus clair.
Nous recherchons également des partenariats avec des organisations, par exemple ConsenSys (une société de solutions de chaînes de blocs) et Unity technologie (une société de jeux vidéo) qui nous ont fourni beaucoup de matériel pédagogique. Ils ont également aidé nos étudiantes à voyager pour se rendre à des conférences, ou recevoir des bourses d’études. En retour, par exemple, je suis membre du conseil consultatif de Unity Global Education.

Bahar Partov: Après votre maîtrise à Berlin, vous décidez de rentrer en Afghanistan, quelle a été votre principale motivation derrière cela?
Fereshteh Forough: L’une des choses les plus importantes pour moi est de pouvoir redonner à ma communauté. Ensemble avec mes autres amis de TU Berlin, nous étions déterminés à transformer nos connaissances et donner un aperçu d’un système éducatif différent. Nous avons essayé de réévaluer les programmes que nous avions déjà eus et encourager les étudiantes, en dehors des activités de classe. Je voulais aussi donner l’exemple, car nous avons très peu de femmes professeures dans les domaines techniques.
Bahar Partov: Comment pensez-vous que la technologie peut avoir un impact sur l’avenir des femmes et de la société afghane en général?
Fereshteh Forough: Il y a beaucoup d’aspects différents. Si vous avez un ordinateur et une connexion Internet, alors vous pouvez vous connecter au reste du monde, sans vous soucier des frontières géographiques. La technologie permet également de donner une autonomie financière aux femmes et elle leur permet de lutter ainsi contre les inégalités sociales. L’autre aspect est la diversité. La technologie est encore un domaine dominé par les hommes, même dans le monde développé. En Afghanistan, c’est la même chose. Si vous n’avez pas une main-d’œuvre diversifiée dans la conception des produits ou des solutions que vous créez, alors vous ignorez la moitié de la société.
De façon plus large, plus nous avons de femmes instruites et plus elles sont susceptibles d’investir à leur tour dans l’éducation de leurs enfants. Pour un pays comme l’Afghanistan, qui a traversé plusieurs décennies de conflits et de guerres, pour assurer un avenir pacifique, il faut investir dans l’éducation des filles. Les femmes peuvent également contribuer au développement du PIB et apporter une diversification des sources de revenus pour le pays.
Bahar Partov: L’image que nous avons de l’Afghanistan n’est pas toujours positive. Que faites-vous pour montrer une image plus réaliste de l’Afghanistan au reste du monde?
Fereshteh Forough: Je rencontre beaucoup de personnes qui sont encore ancrées dans l’époque des talibans, et, malheureusement, les réseaux sociaux et les médias contribuent à renforcer cette idée. J’essaie de montrer l’autre face de l’Afghanistan, celle que j’appelle “l’Afghanistan 2.0”. C’est-à-dire les changements que nous y avons apportés: comment la vie des filles a changée, ainsi que les retombées sociales des solutions qu’elles ont développées.
Il est vrai que la guerre et les conflits sont toujours présents dans certaines régions d’Afghanistan, mais cela ne signifie pas que le pays ne fonctionne pas. Certaines régions jouissent d’une paix stable et de nombreux progrès y ont été réalisés. Nous sommes ainsi passés de 900 000 élèves scolarisés (dont la majorité était des garçons) à sept millions d’élèves scolarisés, dont deux millions et demi sont des filles.
Bahar Partov: Quels sont les espoirs que vous fondez pour l’avenir de Code to Inspire?
Fereshteh Forough: Comme je le dis toujours, je veux construire l’Afghanistan 2.0, et ouvrir autant d’écoles de codage que possible dans d’autres villes. Nous prévoyons d’ouvrir une à deux écoles supplémentaires dans d’autres villes d’Afghanistan d’ici 2025. Nous voulons créer un modèle d’entreprise plus durable pour générer des revenus et créer un pipeline durable d’emploi pour nos élèves. L’aspect très large de notre modèle est qu’il est évolutif. J’adorerais l’étendre à d’autres pays du monde où les femmes sont confrontées aux mêmes problèmes qu’en Afghanistan.
Je veux remercier Fereshteh pour sa dernière campagne de financement et lui souhaiter le meilleur dans l’accomplissement de ses activités futures.