Est-ce que ça se dit « Eskimo »?

Par URelles
juillet 3, 2025

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Le mot Eskimo a longtemps fait partie du paysage culturel. Que ce soit en parlant de la fameuse barre glacée enrobée de chocolat ou en faisant un « bisou esquimau » en frottant le bout de votre nez contre celui de quelqu’un d’autres, ce mot a longtemps circulé dans la culture populaire, sans trop qu’on se pose de questions. Mais est-ce que ce mot a encore sa place, aujourd’hui?

Une origine coloniale (et floue)

Le mot Eskimo ne vient pas des peuples qu’il désigne, c’est-à-dire les Inuit et les Yupiks. Il leur a été imposé, comme c’est souvent le cas avec les termes coloniaux. Encore aujourd’hui, sa signification est sujette à débats. 

L’origine du terme pourrait provenir du terme excommunié, parce que les Inuit n’étaient pas chrétiens. Les jésuites, venant d’Europe, dans les années 1600, ont inventé les noms Excomminquois (prononcé Excomminqué), qui ensuite, via quelques altérations auraient donné naissance aux Escoumins, et esquimaux. 

Une autre croyance, toutefois largement contestée, est que le terme aurait été utilisé par les colons européens et viendrait d’un mot algonquien (probablement de la langue innue ou ojibwée) qui signifierait « mangeur de viande crue » ou « mangeur de viande crue de poisson ». 

Des linguistes pensent aussi que le mot Eskimo est dérivé d’un mot montagnais (innu) ayas̆kimew qui signifie « filet de raquettes ».

Dans tous les cas, ce ne sont pas exactement des compliments, vous en conviendrez.

Des stéréotypes bien ancrés 

Quand on utilise le terme Eskimo, on ne fait pas que désigner un groupe de personnes: on active un imaginaire. Celui des igloos, des traîneaux à chiens, des grandes parkas et du Grand Nord. Une image figée dans le temps. Cet imaginaire a été renforcé par les médias, les livres pour enfants, les produits de consommation… et oui, même les barres glacées!

Le problème, c’est que cet imaginaire fige les Inuit dans un stéréotype. Il fait disparaître leur réalité moderne, leurs combats et leur culture bien vivante. Les Inuit d’aujourd’hui vivent dans des villes et des villages, travaillent dans des domaines variés, et continuent de parler leur langue, de créer, d’enseigner et de résister. Les réduire à cette image (que vous arrivez probablement à visualiser sans peine), ça correspond à les invisibiliser.

Un autre enjeu avec le mot Eskimo, c’est qu’il a été utilisé comme un mot parapluie pour désigner à la fois les Inuit du Canada et du Groenland, et les Yupiks, qui vivent principalement en Alaska et en Sibérie. Pourtant, les Yupiks ne sont pas des Inuit, ne parlent pas la même langue et ne partagent pas exactement les mêmes cultures, territoires ou histoires. Regrouper tout ce monde-là sous un seul mot, c’est faire disparaître leur individualité, leur spécificité, leur autonomie culturelle. Bref, c’est un raccourci qui efface plutôt qu’il ne rassemble.

Des barres glacées aux stades de foot: le mot Eskimo disparaît 

Comme mentionné, les usages commerciaux et culturels ont contribué à ancrer le mot dans l’imaginaire collectif, mais aussi à entretenir des stéréotypes tenaces. Mais bonne nouvelle: les choses changent!

Pendant près de 100 ans, la barre glacée Eskimo Pie a été un incontournable aux États-Unis. Lancée en 1921, elle combinait chocolat et vanille avec une image « exotique » du Grand Nord. 

En 2020, au milieu d’un plus large mouvement social de remise en question des symboles racistes dans la culture populaire (pensons à Aunt Jemima ou Uncle Ben’s), la compagnie Dreyer’s a annoncé qu’elle allait rebaptiser la friandise. Eskimo Pie est ainsi devenue Edy’s Pie aux États-Unis, un clin d’œil au nom de l’un des fondateurs de l’entreprise. Le rebranding a été accompagné d’une volonté affichée de « respecter la dignité des peuples autochtones ».

Ici au Canada, un autre changement a fait parler: celui de l’équipe de football canadien d’Edmonton, appelée les Edmonton Eskimos depuis 1949. Là encore, le nom puisait dans une imagerie stéréotypée du Nord, utilisée sans l’accord ni la participation des communautés inuit.

Pendant des années, des leaders autochtones ont interpellé l’équipe et la Ligue canadienne de football pour demander un changement. De son côté, l’équipe était restée sur sa position selon laquelle ce nom est un hommage au peuple inuit parce qu’il représente « la dureté, la rusticité et la capacité d’accomplir des performances par temps froid ». Ce n’est qu’en 2020, après une période de consultation publique et de pression accrue, que l’organisation a officiellement adoptée son nouveau nom officiel: les Edmonton Elks.

Ce changement a été salué comme un pas dans la bonne direction, même si plusieurs ont regretté qu’il ait fallu autant de temps. Il montre qu’écouter les communautés concernées, ça compte.

Quels sont les termes à utiliser dans ce cas?

Ce que plusieurs personnes ignorent, c’est que le mot Inuit existe depuis toujours… du moins, pour les Inuit eux-mêmes! Inuit veut dire « les êtres humains » dans la langue inuktitut. Inuk, c’est le singulier. Ce sont des mots issus des langues et des cultures de ces peuples, et non imposés par d’autres. Autrement dit: ce sont les termes justes.

Il y a aussi le terme Inuvialuit, qui désigne plus spécifiquement un groupe inuit vivant dans l’ouest de l’Arctique canadien. Comme ailleurs dans le monde, il y a une grande diversité à l’intérieur même de ce qu’on appelle les « peuples autochtones ». Ce ne sont pas des identités interchangeables.

Depuis plusieurs décennies, les communautés inuit revendiquent activement qu’on utilise leurs propres mots pour les désigner. Ces revendications ne sont pas capricieuses: elles font partie d’une démarche plus large de réappropriation culturelle, d’autodétermination et de guérison après des générations de colonisation, de déplacements forcés et de politiques d’assimilation.

Et pour le fameux « bisou esquimau »? Ce geste, souvent mal représenté, est en fait inspiré du kunik, une belle démonstration d’affection chez les Inuit… mais qui n’a rien à voir avec le nez-contre-nez qu’on nous a montré dans les dessins animés. Alors on vous pose la question: Et si on renommait ce geste tendrement maladroit? On prend vos idées dans les commentaires!


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Photo de Daria Andrievskaya sur Pexels

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